Le seul moyen d'organiser le bonheur public c'est l'application du principe de l'égalité. L'égalité est impossible dans un État où la possession est solitaire et absolue ; car chacun s'y autorise de divers titres et droits pour attirer à soi autant qu'il peut, et la richesse nationale (...) finit par tomber en la possession d'un petit nombre d'individus qui ne laissent aux autres qu'indigence et misère. (...)
Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d'abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour (...) cultiver librement son esprit. (...)
...
Chaque père de famille va chercher au marché ce dont il a besoin pour lui et les siens. Il emporte ce qu'il demande, sans qu'on exige de lui ni argent ni échange. On ne refuse jamais rien aux pères de famille. L'abondance étant extrême en toute chose, on ne craint pas que quelqu'un demande au-delà de son besoin. En effet, pourquoi celui qui a la certitude de ne manquer jamais de rien chercherait-il à posséder plus qu'il ne lui faut ? Ce qui rend les animaux en général cupides et rapaces, c'est la crainte des privations à venir. Chez l'homme en particulier, il existe une autre cause d'avarice, l'orgueil, qui le porte à surpasser ses égaux en opulence et à les éblouir par l'étalage d'une richesse superflue. Mais les institutions utopiennes rendent ce vice impossible.
...
La nature, disent-ils encore, invite tous les hommes à s'entraider mutuellement, et à partager en commun le joyeux festin de la vie (...). C'est pourquoi les Utopiens pensent qu'il faut observer non seulement les conventions privées entre simples citoyens, mais encore les lois publiques qui règlent la répartition des commodités de la vie.
...
Partout où la propriété est un droit individuel, où toutes choses se mesurent par l'argent, là on ne pourra jamais organiser la justice et la prospérité sociale, à moins que vous n'estimiez parfaitement heureux l'État où la fortune publique se trouve la proie d'une poignée d'individus insatiables de puissance, tandis que la masse est dévorée par la misère. Aussi quand je compare les institutions utopiennes à celles des autres pays, je ne puis assez admirer la sagesse et l'humanité d'une part et déplorer de l'autre, la déraison et la barbarie.
...
Chercher le bonheur sans violer les lois est sagesse ; travailler au bien général est religion ; fouler au pied la félicité d'autrui en courant après la sienne est une action injuste. Au contraire, se priver de quelque jouissance, pour en faire part aux autres, c'est le signe d'un cœur noble et humain, qui, du reste, retrouve bien au-delà du plaisir dont il a fait le sacrifice. D'abord cette bonne œuvre est récompensée par la réciprocité des services ; ensuite, le témoignage de la conscience, le souvenir et la reconnaissance de ceux qu'on a obligés, causent à l'âme plus de volupté que n'aurait pu en donner au corps l'objet dont on s'est privé. Enfin, l'homme qui a foi aux vérités religieuses doit être fermement persuadé que Dieu récompense la privation volontaire d'un plaisir éphémère et léger, par des joies ineffables et éternelles.
...
Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d'abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour (...) cultiver librement son esprit. (...)
...
Chaque père de famille va chercher au marché ce dont il a besoin pour lui et les siens. Il emporte ce qu'il demande, sans qu'on exige de lui ni argent ni échange. On ne refuse jamais rien aux pères de famille. L'abondance étant extrême en toute chose, on ne craint pas que quelqu'un demande au-delà de son besoin. En effet, pourquoi celui qui a la certitude de ne manquer jamais de rien chercherait-il à posséder plus qu'il ne lui faut ? Ce qui rend les animaux en général cupides et rapaces, c'est la crainte des privations à venir. Chez l'homme en particulier, il existe une autre cause d'avarice, l'orgueil, qui le porte à surpasser ses égaux en opulence et à les éblouir par l'étalage d'une richesse superflue. Mais les institutions utopiennes rendent ce vice impossible.
...
La nature, disent-ils encore, invite tous les hommes à s'entraider mutuellement, et à partager en commun le joyeux festin de la vie (...). C'est pourquoi les Utopiens pensent qu'il faut observer non seulement les conventions privées entre simples citoyens, mais encore les lois publiques qui règlent la répartition des commodités de la vie.
...
Partout où la propriété est un droit individuel, où toutes choses se mesurent par l'argent, là on ne pourra jamais organiser la justice et la prospérité sociale, à moins que vous n'estimiez parfaitement heureux l'État où la fortune publique se trouve la proie d'une poignée d'individus insatiables de puissance, tandis que la masse est dévorée par la misère. Aussi quand je compare les institutions utopiennes à celles des autres pays, je ne puis assez admirer la sagesse et l'humanité d'une part et déplorer de l'autre, la déraison et la barbarie.
...
Chercher le bonheur sans violer les lois est sagesse ; travailler au bien général est religion ; fouler au pied la félicité d'autrui en courant après la sienne est une action injuste. Au contraire, se priver de quelque jouissance, pour en faire part aux autres, c'est le signe d'un cœur noble et humain, qui, du reste, retrouve bien au-delà du plaisir dont il a fait le sacrifice. D'abord cette bonne œuvre est récompensée par la réciprocité des services ; ensuite, le témoignage de la conscience, le souvenir et la reconnaissance de ceux qu'on a obligés, causent à l'âme plus de volupté que n'aurait pu en donner au corps l'objet dont on s'est privé. Enfin, l'homme qui a foi aux vérités religieuses doit être fermement persuadé que Dieu récompense la privation volontaire d'un plaisir éphémère et léger, par des joies ineffables et éternelles.
...
Je vous ai décrit le plus exactement possible la structure de cette république où je vois non seulement la meilleure, mais la seule qui mérite ce nom. Toutes les autres parlent de l'intérêt public et ne veillent qu'aux intérêts privés. Rien ici n'est privé, et ce qui compte est le bien public. Il ne saurait, ici et là, en aller autrement. Chacun sait ailleurs que s'il ne se soigne pas pour sa propre personne, et si florissant que soit l'État, il n'a qu'à mourir de faim; il est donc forcé de tenir compte de ses intérêts plutôt que de ceux du peuple, c'est-à-dire d'autrui. Chez eux au contraire, où toutes choses sont à tous, un homme est sûr de ne pas manquer du nécessaire pourvu que les greniers publics soient remplis.
Car la répartition des denrées se fait largement ; il n'y a pas d'indigents, pas de mendiants et, sans que personne possède rien, tous sont riches. Est-il richesse plus grande que de vivre sans aucun souci, l'esprit heureux et libre, sans s'inquiéter de son pain, sans être harcelé par les plaintes d'une épouse, sans redouter la pauvreté pour un fils, sans se tourmenter pour la dot d'une fille ? Être rassuré sur les ressources et le bonheur des siens, femme, enfants, petits-enfants, et jusqu'à la plus longue postérité qu'un noble puisse se souhaiter? Car tout a été calculé pour ceux qui ont travaillé autrefois et qui en sont à présent incapables, aussi bien que pour ceux qui travaillent à présent.
Je voudrais voir qui oserait comparer avec cette équité la justice qui règne chez les autres peuples, où je consens à être pendu si je découvre la moindre trace de justice ou d'équité. Y a-t-il justice quand le premier noble venu, ou un orfèvre, ou un usurier, ou n'importe lequel de ces gens qui ne produisent rien, ou seulement des choses dont la communauté se passerait aisément, mènent une vie large et heureuse dans la paresse ou dans une occupation inutile, tandis que le manœuvre, le charretier, l'artisan, le laboureur, par un travail si lourd, si continuel qu'à peine une bête de somme pourrait le soutenir, si indispensable que sans lui un État ne durerait pas une année, ne peuvent s'accorder qu'un pain chichement mesuré, et vivent dans la misère ? La condition des bêtes de somme a de quoi paraître bien meilleure; elles travaillent moins longtemps; leur nourriture n'est guère plus mauvaise, si elle ne leur paraît même pas plus délectable; et elles ne sont pas obsédées par la crainte de l'avenir.
Mais les ouvriers! Ils peinent au jour le jour, accablés par un travail stérile et sans récompense, et la perspective d'une vieillesse sans pain les tue. Le salaire quotidien ne suffit même pas à leurs besoins ; tant s'en faut qu'il en reste de quoi mettre de côté en vue de l'avenir.
N'est-il pas injuste et ingrat, le pays qui accorde de telles faveurs à ceux qu'on appelle les nobles, aux orfèvres et aux gens de cette espèce, qui ne font rien, sinon flatter et servir les plaisirs les plus vains ? Mais il n'a aucune générosité pour les cultivateurs, les charbonniers, les manœuvres, les cochers, sans lesquels aucun État ne pourrait subsister. Il exige d'eux, pendant leurs plus belles années, des fatigues excessives, après quoi, quand ils sont alourdis par l'âge et les maladies, et privés de toute ressource, perdant le souvenir de tout ce qu'il a reçu d'eux, il les récompense indignement en les laissant mourir de faim.
Sans compter que la pitance quotidienne des pauvres est chaque jour écornée par les riches, qui font jouer aussi bien les lois de l'État que leurs supercheries personnelles. On estimait injuste autrefois de mal récompenser ceux qui avaient bien mérité de l'État : voilà que par une loi promulguée, cette ingratitude est érigée en loi.
Quand je reconsidère ou que j'observe les États aujourd'hui florissants, je n'y vois, Dieu me pardonne, qu'une sorte de conspiration des riches pour soigner leurs intérêts personnels sous couvert de gérer l'État. Il n'est pas de moyen, pas de machination qu'ils n'inventent pour conserver d'abord et mettre en sûreté ce qu'ils ont acquis par leurs vilains procédés, et ensuite pour user et abuser de la peine des pauvres en la payant le moins possible. Dès que les riches ont une fois décidé de faire adopter ces pratiques par l'État - qui comprend les pauvres aussi bien qu'eux-mêmes - elles prennent du coup force de loi.
Ces hommes détestables, avec leur insatiable avidité, se sont partagé ce qui devait suffire à tous ; combien cependant ils sont loin de la félicité dont jouissent les Utopiens! Avec l'usage de l'or, a disparu toute avidité d'en posséder : que de soucis supprimés, quelle semence de crime arrachée avec sa racine! Car, qui ne le sait ? les tromperies, les vols, les brigandages, les rixes, les émeutes, les coups, les révoltes, les meurtres, les trahisons, les empoisonnements, que des supplices quotidiens punissent sans pouvoir les décourager, disparaissent en même temps que l'usage de la monnaie. Ajoutons-y la peur, l'angoisse, les soucis, les efforts, les veilles, qui mourront en même temps que l'argent. Même la pauvreté, qui semble avoir l'argent pour remède, disparaîtra dès qu'il aura été aboli.
Pour mieux vous persuader, je vous rappellerai une année mauvaise et stérile, où des milliers d'hommes sont morts de faim. Je soutiens qu'à la fin de la disette, si l'on avait fouillé les greniers des riches, on y aurait trouvé assez de blé pour le distribuer à tous ceux qui succombèrent aux privations; et personne alors n'aurait même remarqué la parcimonie du ciel et du sol. Combien facilement les ressources peuvent être procurées si ce bienheureux argent - qu'on n'a inventé, dit-on, que pour faciliter leur arrivée - n'en bouchait seul les accès !
Les riches eux-mêmes, je n'en doute pas, comprennent ces vérités. Ils savent qu'il vaut bien mieux ne jamais manquer du nécessaire que d'avoir en abondance une foule de superfluités, être délivré de mille peines que d'être prisonnier de grandes richesses.
L'univers entier, j'en suis convaincu, aurait depuis longtemps été amené à adopter les lois de cette république, à la fois par la considération de l'intérêt de chacun et par l'autorité du Christ notre Sauveur, dont la sagesse infinie ne pouvait ignorer ce qui vaut le mieux pour nous, dont la bonté infinie ne pouvait manquer de nous le prescrire - si une seule bête fauve n'avait opposé sa résistance, la reine, la mère de tous les maux, la Superbe. La prospérité à ses yeux ne se mesure pas d'après le bonheur de chacun, mais d'après le malheur des autres. Elle refuserait même de devenir dieu si elle ne pouvait garder autour d'elle des misérables à insulter, à traiter en esclaves, dont la détresse serve de repoussoir a son éclatante félicité, qu'elle puisse torturer, irriter dans leur dénuement par l'étalage de ses richesses. Ce serpent d'enfer s'enroule autour du cœur des hommes pour les détourner de la voie droite; il s'attache à eux et les tire en arrière comme le rémora fait aux navires.
Il est trop profondément enfoncé en la nature humaine pour qu'on puisse aisément l'en arracher. Mais je suis heureux de voir aux Utopiens la forme de Constitution que je souhaiterais à tous les peuples. Eux du moins se sont laissé guider par des principes qui ont donné à leur république la prospérité et de plus, pour autant que les supputations humaines puissent prévoir l'avenir, une garantie de pérennité. Une fois extirpées à l'intérieur, avec tous les autres vices, les racines de l'ambition et des factions, quel danger subsiste-t-il qu'elle ait à souffrir de ces discordes intestines qui ont suffi à perdre tant de cités puissamment défendues ? Aussi longtemps que la bonne entente règne dans la maison et que les lois sont saines, l'envie de tous les rois voisins - ils ont déjà tenté plus d'une entreprise, mais toutes ont été repoussées - ne parviendra pas à renverser cet empire ni même à l'ébranler.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire