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Des possessions matérielles au bien-être
… La réduction de la consommation matérielle dans les pays occidentaux est une évolution à la fois inévitable et souhaitable. Mais comment réduire la consommation matérielle dans les sociétés riches sans diminuer leur bien-être? Cette question régénère le problème politique : il ne s’agit plus de répartir l’abondance, l’enrichissement sans fin promis par la croissance, mais d’organiser la sobriété.
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Cette mutation extraordinaire est si contraire à la culture dominante en société de consommation qu’il est peu probable que les choses aillent sans heurts.
Les classes dirigeantes s’engagent sur la voie de la stratégie du choc assortie d’un choix intégralement technologique. Mais une alternative est possible, inspirée par le souci de l’intérêt général, et visant à faire en sorte que ce que l’on perd en satisfaction matérielle soit compensé par un meilleur accès aux biens collectifs, donc l’esprit serait renouvelé...
Les emplois de la sobriété intelligente
… La réduction de la consommation matérielle sera par ailleurs compensée par un développement des services collectifs les plus utiles au bien-être, comme l’éducation, la santé, les soins aux personnes âgées…
Du rationnement des biens matériels à l’abondance des biens communs
…En fait, une société parvenue à maturité matérielle n’a guère besoin d’objets nouveaux, et il sera plus aisé qu’on l’imagine de tailler dans la masse immense des produits entassés par habitude ou par la force de la publicité. En revanche, une telle société est beaucoup plus intéressée aux services de relations et de soins, qui s’adressent à l’être lui-même dans la plénitude de ses possibilités de réalisation : éducation, santé, culture, formation. Moins de biens, plus de liens…
Une bataille culturelle
… Il s’agit de substituer une culture de la solidarité et de l’entraide à la culture de l’individualisme et de la compétition.
Par exemple, réduire la consommation matérielle sans que cela soit vécu dans la souffrance et le sentiment de privation suppose, certes, une nouvelle définition de la richesse, mais surtout une nouvelle culture du désirable, un changement du registre émotionnel, un bouleversement de ce qui est présentement ressenti comme plaisant et prestigieux.
Car la culture n’est pas un problème mais une façon d’être. On ne transforme pas des façons d’être et de penser le monde par des décisions politiques. Le mouvement spontané de la conscience commune… l’exemple donné par telle vedette ou tel intellectuel valorisant la sobriété heureuse, le vécu de groupes nombreux saturés de l’ennui consommatoire, l’aggravation de la crise écologique vont agir souterrainement contre l’aliénation encore généralisée.
Depuis le XVIe siècle, la culture européenne a développé une représentation du monde séparant l’esprit humain de l’ensemble des non-humains, qui seraient dénués de toute intériorité. Le succès de la révolution industrielle s’est fondé sur cette vision d’un monde matériel muet et donc instrumentalisable à loisir. On connaît le résultat de cette opération gigantesque, qui n’a pas seulement conduit à la crise écologique, mais a doté l’humanité elle-même d’une telle puissance de transformation sur l’environnement qu’elle est devenue, si l’on en croit de nombreux scientifiques, une force géologique, ruinant par le succès même de sa philosophie d’étanchéité entre l’homme et la nature son principe fondateur. Force naturelle, l’homme ne peut plus être pensé en dehors de la nature… Il nous faudra sans doute… redéfinir une cosmologie qui fasse place sinon droit au qi (le souffle), à l’esprit, à l’intériorité, à la conscience, à l’essence – aux mille mots par lesquels les humains ont désigné pendant si longtemps ce qui était le monde et ce qui était dans le monde, et qui n’était pas eux sans leur être pour autant étranger.
Une proposition cosmologique, qui a reçu depuis quelques années un important écho, ouvre la voie au dialogue planétaire qui ne concernera pas seulement l’utilité commune mais aussi le sens de l’ensemble. Avec l’idée de la Pacha Mama (Terre Mère), formée par les peuples des Andes, s’affirme la rupture avec la modernité occidentale : la nature n’y est pas valorisée en fonction de son utilité, mais en tant qu’elle est porteuse de valeurs propres. En ce sens, la nature et la société ne sont pas étrangères l’une à l’autre.
Une nouvelle perception de ce qu’on appelle « nature » ne saurait manquer de conduire à la spiritualité, si largement refoulée par le monde moderne. Le désordre économique, la destruction écologique, les rivalités ostentatoires sont aussi l’expression d’une crise spirituelle qui paraît générale… Presque partout, la course à l’illimitation matérielle semble compenser le vide des âmes qu’on étouffe.
… Il n’empêche : à brimer la disposition humaine à la spiritualité, la course matérielle appauvrit l’espèce et dessèche les cœurs. La réduction nécessaire de la consommation matérielle ne découlera pas seulement d’une démarche de la raison, mais aussi d’une remise en cause des valeurs matérialistes. Elle ne manquera pas de se prolonger philosophiquement. La culture planétaire ne refusera plus le dialogue entre les croyances.
L’époque vibre d’une tension contenue vers le spirituel, vers l’admiration pour l’univers qui dépasse l’aventure humaine et lui donne sens. Nous aurons à transmuer ces mille façons de percevoir le mystère en une démarche universelle.
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